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Archive for Mai 2012

Les portes de la Cathédrale s’ouvrirent en grand, et les gardes s’écartèrent avec déférence. Le bruit de ses pas résonnait sous la voûte soutenue par des colonnes de marbre blanc. Elle marchait d’un pas rapide et décidé vers l’autel, son manteau blanc volant derrière elle. Elle portait une épée à la ceinture et des braies en cuir rouge sang, le même rouge que celui de ses cheveux. Ses cuissardes blanches étaient fermées par un fin laçage, le même que celui de son corset. Un chapeau blanc avec une plume bordeaux venait rehausser l’ensemble. Le rubis sur le pommeau de sa lame refléta un des rais de lumière qui s’échappait du grand vitrail derrière l’autel. Elle vint se planter devant l’Archi-prêtre, ses yeux gris plongeant dans ceux du vieil homme.
-Épargnez moi les cérémoniaux. Vous me faites mander au beau milieu de la nuit par un acolyte terrorisé et tremblant de naïveté à la vue d’une femme en chemise de nuit.
-Moi aussi je suis heureux de vous voir, Inquisitrice…
-La peste. Parlez vite, et j’espère que c’est important.
-Je vois. ..

L’heure d’avant l’aube est toujours la plus sombre. Elle quitta la cité cléricale d’humeur massacrante, accompagnée par son chien, l’acolyte qui l’avait réveillée et deux templiers à demi assoupis.
– Cesse donc de me regarder en coin avant de rougir jusqu’aux oreilles. Je suis habillée maintenant. Et quand bien même, je n’ai rien de plus que ce que tu as du voir sur d’autres femmes.
-J-je suis d-désolé madame. J-je n’ai j-jamais… Et v-vous… Vous êtes… p-particulièrement.
-Oh, la barbe, dit-elle d’un ton cassant, avant de reprendre, plus doucement. J’ai toujours pensé que cette « innocence » n’était pas une bonne chose. Mais si ça amuse l’Église que ses pantins soient tous aussi rouges lorsqu’ils viennent frapper à ma porte en pleine nuit… Enfin, bref.
-P-pard..
Elle se retourna vivement et planta un ongle sous le menton de l’acolyte, le réduisant au silence.
-Encore une seule excuse du genre et je te donne une bonne raison de rougir, compris ?
Il hocha la tête en silence et ils reprirent leur chemin sans heurts, les deux templiers souriants sous leurs heaumes , l’acolyte aussi rouge que les cheveux de l’Inquisitrice dont les yeux brillaient d’une lueur amusée.

Ils arrivèrent au village en fin de matinée. Malgré le printemps, il faisait encore frais, et sombre, à la porte de ce petit hameau perdu entre les arbres. Les maisons couvertes de lierre, le léger mouvement des branches dans la brise. Les toits des bâtiments qui se fondaient dans les frondaisons, si bien que le bourg tout entier semblait faire corps avec la forêt. Et le silence… Le silence ? Un silence anormal. Même les oiseaux s’étaient tus. Son chien semblait nerveux. Elle tira sa lame, imitée par les templiers, tirant un cri de surprise à l’acolyte. Alors qu’ils passaient la porte, ils comprirent. Les rues étaient jonchées de cadavres récents, plus ou moins mutilés. Certains n’avaient plus de tête, d’autres simplement éventrés, et quelques bustes se trouvaient à quelques mètres de leurs jambes. Tous portaient la souffrance sur leurs visages figés. L’acolyte frissonna.

-Trouvez des survivants, ordonna-t’elle d’un ton neutre. Gamin, tu restes avec moi.

Il ne se fit pas prier, et les templiers se séparèrent. Le bourg était petit, il ne fallu pas longtemps pour en faire le tour. Elle s’agenouilla auprès d’un cadavre et ôta son chapeau, le glissant vers son cœur, les yeux clos. Le jeune acolyte jeta un œil par dessus son épaule. Il s’agissait d’un homme d’âge mûr, à la calvitie naissante, revêtu d’une armure en plaque d’or usée et de jambières en peau. Son marteau dormait à ses pieds et son visage était serein, contrairement aux autres, et son corps avait été relativement épargné.
– Un ami à vous ?
– On peut dire ça. Je l’ai connu il y a quelques années. Un sale con, mais un chic type.
Elle soupira avant de se relever, replaçant son chapeau.
– On dirait que l’Archi-prêtre avait une bonne raison de me réveiller finalement…
L’un des templiers les rejoignit, secouant la tête d’un air sombre. L’acolyte frissonna de nouveau. Il s’apprêtait à prendre la parole lorsqu’un cri déchirant s’éleva, tout proche. Le jeune initié sursauta alors que les deux autres se tournèrent vers le hurlement. Il s’agissait du second templier.
– Madame, ça me déplait de laisser un des miens, mais si l’Archi-prêtre avait effectivement raison, nous sommes en sous-nombre, et nus ne pourrions combattre l’esprit tranquille si nous devons protéger l’acolyte.
– Escortez le vers la sortie. Attendez à l’orée des arbres. Si je ne suis pas là dans dix minutes, ne m’attendez pas, et ne revenez pas me chercher. Compris ?
L’acolyte allait protester, mais le templier l’entraina à sa suite en lui jetant un regard sans appel. Il savait ce qu’on disait de l’inquisitrice, et toute protestation étaient inutile quoi qu’il en soit. Une fois seule avec son chien, elle plongea ses yeux dans ceux de l’animal avec un demi-sourire que celui-ci connaissait bien. Ses deux compagnons avaient à peine disparut que les ombres s’agitèrent. Une autre proie s’était isolée. Ils allaient encore manger. Elle attendait.
La première goule se jeta sur elle en jaillissant des ombres. Son sourire s’élargit alors qu’elle l’esquiva adroitement et la trancha net en bas du dos. Les jambes continuèrent à tourner un moment avant de tomber sur la tête. Elle rit alors que les autres goules s’avançaient, nullement impressionnées. La danse commençait.

Le templier commençait seulement à se dire que l’heure du départ était venu, lorsqu’un éclat de lumière attira son attention entre les deux tours qui marquaient l’entrée du bourg. Une silhouette en manteau blanc marchait, un chien à son coté, une lame couverte de sang dans la main, une torche brûlant d’un feu sacrée dans l’autre. Deux petites flammes ardaient sous le chapeau. L’acolyte se tut, abasourdi par la vision du village s’embrasant et de cette ombre blanche marchant vers eux en lançant distraitement la torche sur le toit de l’écurie, embrasant celle ci.

Le vieux guerrier sourit sous son heaume. Il n’avait jamais douté des contes, bien qu’extraordinaires que ceux qui l’avaient servie racontaient. Mais la voir à l’œuvre était autre chose. Elle croisa son regard, la lueur de plaisir dans ses yeux gris croisa celle, emprunte de respect et d’amusement, des yeux verts du vieux guerrier. Ils échangèrent un hochement de tête et reprirent la route.
Le templier vint se mettre à la hauteur de l’acolyte et posa une main sur son épaule.
-Maintenant tu peux rougir, gamin.

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